Un blog ? Quelle drôle d’idée. C’est jeune un blog.
C’est narcissique un blog. C’est superficiel un blog.
Alors dans ma quarantième année, totalement réfractaire à
l’informatique et aux réseaux sociaux, incompétente malgré ce que pense le
ministère de l’Éducation Nationale qui veut que tous les profs de maths
enseignent la programmation et les nouvelles technologies, j’avais accepté de
m’enfoncer dans une fâcherie générationnelle contre tout type de déballage individualiste
connecté « genre » ma vie, mon génie, mon cul.
Vieille boudeuse sans barbe, je fustigeais le voyeurisme et
la vanité de la toile, sorte de fenêtre sans rideau, ouverte sur la nuit,
devant laquelle des naïfs nombrilistes s’exposent nus après avoir allumé toutes
les lumières.
Et puis un ami pour mes quarante ans m’a offert un livre, un livre bien étrange pour ma bibliothèque essentiellement constituée alors de classiques français. Elle se diversifie depuis. C’était le roman tout récent de Chimamanda Ngozi Adichie, une romancière nigériane de mon âge : Americanah.
Ce roman s’est trouvé être tout ce que je rêverais d’écrire,
à l’opposé des « posts »*
superficiels des blogs de mon imaginaire. Un pavé bien écrit, des tranches de
vies, profond sans emphase, sensuel sans crudité, ironique sans cruauté,
observateur. N’aurais-je pas rêvé d’être aussi créative à quarante ans que
Chimamanda Ngozi Adichie ? Sans doute, mais ce livre, par son enthousiasme
et sa vie, n’est pas de ceux qui crée des regrets, de la nostalgie ou des
jalousies. Il m’a transmis son enthousiasme et fut ma petite révolution de la
quarantaine.
Le personnage principal du livre est une jeune femme nigériane partie étudier aux États-Unis. Confrontée au racisme quotidien de la société américaine, tout à coup conscience d’être noire dans ce nouvel environnement, elle ouvre un blog pour y publier ses impressions et croquer en quelques lignes des scènes de sa vie de tous les jours, des conversations, des situations déclenchées par la relation des autres à sa peau noire.
Mais bon sang, mais c’est bien sûr ! Depuis mes quinze ans je rêvais d’écrire tout en me sachant incapable de construire une intrigue, des personnages dignes d’être vrais, un roman. Je voulais écrire comme on prend des photos. Je voulais écrire des images de la rue, des gens vus dans le bus, ma marchande de fruits et légumes, des anecdotes, des scénettes, des rires, des absurdités, des colères. Je voulais écrire un album de textes, comme des clichés pris sur le vif. Je voulais me libérer de l’obligation inhibitrice de chercher une intrigue, de faire preuve d’imagination, de créer des personnages plus vivants que les vivants et dont les destins exceptionnels résisteraient au temps. Je voulais du quotidien, et de tous ces gens ordinaires que j’aime croiser sur mon chemin.
Où pouvais-je donc écrire un kaléidoscope de textes avec le
rêve, au début encore mal formulé et hésitant, que cette multitude d’images au
fil du temps formerait le tableau d’un quartier ? Où laisser un témoignage
de l’ordinaire ?
Dans un blog.
Timide, apeurée, j’ai interrogée mon ordinateur : dans quelle partie de ses entrailles ou de ses réseaux fallait-il fouiller pour créer un blog ? Alors c’est un autre ami qui s’est présenté. Il est venu m’aider, et clic clic clic, par lui, le blog d’Albertine est né. Est-ce un hasard, une chance ou un événement sans importance si l’ami cliqueur de blog est un peintre qui professe l’importance des vies ordinaires ? Olivier Terral** réalise des portraits, peints avec l’empreinte digitale du pouce de ses modèles, des gens de tous les jours, des voisins, des malades, dont l’image sur le tableau s’accompagne d’une courte interview : quelques mots emblématiques de leur histoire. Un kaléidoscope de fragments condensés d’humanité. Un témoignage.
Ainsi inspiré et parrainé depuis un an, ce blog est devenu
ma petite maison dans la toile. J’ai réalisé que je pouvais équiper ma fenêtre
ouverte sur la nuit de vitres cathédrales, de miroirs grossissants, de
voilages. J’ai compris que moi seule déciderais si l’éclairage serait cru, ou
simplement suggestif, s’il illuminerait toute la pièce ou juste un morceau
choisi. J’ai espéré que je pourrais parler de maternité, de mon lycée et de mon
quartier sans dévoiler d’intimité. J’aimerais qu’un jour apparaisse l’image,
multiple mais reconstituée, du voisinage. Un témoignage en forme de bouteille à
la mer dont je serais heureuse qu’il puisse vous amuser.
Merci à tous mes visiteurs de cette année.
*post : message publié dans un blog.
**Olivier Terral est un artiste peintre. Son site Empreintes de vie, est accessible à partir de ce blog. Olivier est l’auteur du portrait et de la photo qui illustrent ce texte.
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