
Un gamin tout nu court sur la plage.
Tout nu, tout blanc, quatre ou cinq ans. Heureux.
Il n’a pas de slip mais il tient une pelle.
Sa mère et sa grand-mère le suivent d’un pas tranquille.
Où va-t-il ? Vers la construction d’un château éphémère ou d’une barrière contre la mer.
Il est décidé. Un bâtisseur, un seigneur, un guerrier, tout nu.
Une telle rencontre est devenue rare.
Petite, j’étais nue sur la plage. Pas besoin de maillot de bain ni de couches spéciales baignade avec des poissons clowns dessinés dessus. Un film super 8 me montre, nue blanche et potelée, faisant mes premiers pas sur une plage identique à celle là.
Je n’ose pas mettre mon fils tout nu sur la plage.
Malgré sa peau dorée de cacahuète grillée, son corps nu au soleil s’imprime dans mon esprit barré en gras et en capitales de la mention : CANCER DE LA PEAU.
Je lui laisse, sous son body de tous les jours, une couche qui sera bientôt pleine de sable et pleine de flotte. Je tartine ensuite tout ce qui dépasse de crème qui colle protection 50+ résistante à l’eau. Pour lui point de petites fesses au soleil ni de petit zizi qui s’agite au vent.
Pour les enfants environnants non plus.
Tout autour de nous sur le sable se dressent, petits champignons de couleurs vives, des tentes de plage. Dans chaque tente s’abrite un enfant. Ils me font penser à ses plantes du jardin de mes parents qui me fascinaient dans mon enfance, petites boules orangées enfermées chacune dans une coque de verdure qui rougissait puis devenait dentelle en fanant et en séchant : des amours en cage.
Les enfants qui se risquent dehors semblent porter la tente à même la peau : des combinaisons bleues jaunes ou vertes avec des jambes, des manches et de longues fermetures éclair. Un chapeau sur la tête, des lunettes noires. Ces lutins colorés, reconnaissables aux seuls bariolages de leurs combinaisons s’agitent, actionnant pelles et seaux. Une multitude de nains au boulot.
Trop inquiétée par les UV, je suis incapable d’accorder à mon fils de deux ans la liberté de montrer ses fesses. Rebutée par l’idée d’un consumérisme et d’une mode excessive, je n’ai pas non plus accepté de lui acheter un scaphandre coloré.
Dans cet entre-deux sans courage, mon gosse en couche pendante et body crasseux, est le clodo de la plage.
Sans chapeau, hilare, les boucles emmêlées, le visage couvert de sable collé et de restes de chocolat du goûter, il passe, curieux, d’un groupe d’enfants à un autre, cherchant des regards derrière les lunettes et dans l’ombre des casquettes. Il observe les parents qui observent à leur tour cet incongru Charlot des mers.